Une tribune de Hugues HOURDIN, conseiller d’Etat honoraire et avocat au Barreau de Paris
La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales procédait des travaux du « Comité Balladur » qui, en 2009, avait proposé que les conseillers généraux et les conseillers régionaux soient élus le même jour selon un système dit de « fléchage » inspiré du mode de scrutin par arrondissements ou par secteurs appliqué à Paris, Lyon et Marseille. Il s’agissait, en symétrie avec la création des communes nouvelles en lieu et place des EPCI existants, de simplifier le mode d’administration territoriale de notre pays et, accessoirement, de battre en brèche la malédiction qui veut qu’à chaque étape de la décentralisation, ce soit le département qui sorte gagnant. Il avait semblé au Comité qu’en « emboitant » les départements dans les régions sans porter atteinte aux compétences des uns et des autres, la simplification administrative et la démocratie locale étaient au rendez-vous.
Les articles 1er et suivants de la loi du 16 décembre 2010 traduisaient cette double volonté : élu au suffrage universel direct selon un mode scrutin majoritaire à deux tours, le conseiller territorial avait vocation à représenter et à administrer à la fois le département et la région. Il en résultait une réduction substantielle du nombre d’élus locaux, une diminution des coûts de fonctionnement des assemblées concernées et une meilleure coordination entre les deux niveaux d’administration en cause. Dans sa décision du 9 décembre 2010, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs jugé que ce nouveau système ne créait pas une nouvelle catégorie de collectivités locales et ne méconnaissait aucune disposition constitutionnelle et notamment pas celles de l’article 72 de la Constitution, qui garantit la libre administration des collectivités locales.
Innovant, ce mode d’administration devait permettre d’assurer une meilleure cohérence dans la mise en œuvre des politiques locales, en particulier en matière de développement économique, d’aménagement du territoire et de gestion des infrastructures. Les premières élections des conseillers territoriaux devaient avoir lieu au printemps 2014.
Mais entre l’année 2010 et l’année 2014 se dressait l’obstacle de l’année 2012, celle de l’élection du Président de la République.
Le nouveau chef de l’Etat n’avait jamais fait mystère de son attachement au cadre départemental de l’administration territoriale et le Gouvernement Ayrault fit adopter la loi du 17 mai 2013 qui abrogea purement et simplement les dispositions en cause de la loi du 16 décembre 2010. Le conseiller territorial était donc mort avant d’être né. Et le département, une fois de plus, avait remporté la bataille institutionnelle, et politique.
Ainsi se trouvait confirmée l’analyse du Comité Balladur selon laquelle l’administration du territoire est, en France, une affaire éminemment politique.
Majoritaire à l’Assemblée nationale, mais également au Sénat pour la première fois depuis 1958, le parti du Président de la République s’est attaché à consolider ses positions dans les départements et les régions plutôt qu’à poursuivre la mise en œuvre d’une réforme à laquelle il était hostile.
On peut le regretter. Le conseiller territorial représentait une occasion unique de simplifier le trop fameux « mille feuilles » administratif, de simplifier la gouvernance locale et de renforcer la coopération entre niveaux d’administration. En restant prisonnier d’un système archaïque et uniforme, notre pays a perdu un temps précieux, que ni le redécoupage arbitraire des régions ni l’invention des binômes de conseillers départementaux n’ont réellement permis d’améliorer. On doit ajouter que du point de vue de la démocratie locale, le conseiller territorial offrait la possibilité d’ancrer la proximité et l’efficacité de l’action publique.
Comme souvent en matière institutionnelle, l’idée refait périodiquement surface. C’est le cas aujourd’hui. Il est vrai que les partis au pouvoir ne sont plus les mêmes, que les situations qui paraissaient acquises ne le sont plus, et que les problèmes posés par la rigidité et la complexité du modèle français d’administration territoriale demeurent entiers.
Quinze ans auront été perdus, mais on peut former le vœu que l’inspiration qui a guidé le législateur en 2010 soit prochainement revigorée, au service d’une gouvernance territoriale plus cohérente, efficace et démocratique.