Le Beauvau de la sécurité civile, une grande concertation nationale autour de la sécurité civile a démarré le 8 avril 2024 et se poursuivra jusqu’à la fin de l’année, associant les professionnels et les financeurs, dont les départements en première ligne dans le financement des SDIS. L’objectif ? Faire évoluer le modèle français. Entretien avec Olivier Richefou, président de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours (CNSIS) et président de la Mayenne.
Pourquoi est-il nécessaire de repenser le modèle de la sécurité civile, le modèle s’essoufle-t-il ?
Trente ans après la départementalisation des services d’incendie et de secours, il était important de réaliser un point d’étape pour mettre un terme à la sursollicitation dont les sapeurs-pompiers sont aujourd’hui les victimes collatérales. Ils sont devenus la cinquième roue du carosse. La désertification médicale et l’importante détresse sociale dans notre société en sont les causes principales. Qu’il s’agisse de relever une personne âgée tombée à son domicile ou d’intervenir face à une personne en situation d’alcoolémie sur la voie publique, ce sont eux qui se déplacent même en l’absence de secours d’urgence à mettre en place. Il est nécessaire que l’on prenne le temps de se poser à nouveau la question des missions que les sapeurs-pompiers doivent remplir. C’est en fonction de ces orientations que nous devrons en déterminer la gouvernance et les moyens de financement.
Quelle est l’urgence de la situation ?
L’urgence vient de cette sursollicitation à l’origine de deux conséquences négatives qui justifient la mise en place du Beauvau de la sécurité civile : il s’agit d’une part de l’aspect financier, parce que cette augmentation des interventions amène des dépenses supplémentaires qui sont à l’heure actuelle essentiellement portées par les départements tandis que les contributions des communes sont figées. La deuxième conséquence tout aussi importante concerne l’engagement des sapeur-pompiers qui choisissent cette filière pour effectuer des opérations en lien avec la fonction essentielle du sapeur-pompier. Nous constatons une forme de démotivation, à la fois des volontaires et des professionnels, qui ne s’y retrouvent plus. Or, chacun sait que le sens du métier a beaucoup d’importance chez les jeunes générations.
La situation est-elle la même dans tous les départements ?
Oui, le département de la Mayenne que je préside est touché au même titre que la plupart des départements de notre pays, même s’il est vrai qu’il peut y avoir des exceptions dans certains territoires qui ont réussi à stabiliser leurs interventions, sachant que ces interventions ont été globalement multipliées par deux en dix ans. Et pourtant, la population française n’a pas doublé.
Quelles mesures concrètes attendez-vous du Beauvau de la sécurité civile et notamment en matière de financement ?
Nous serons en mesure d’aborder la question du financement dès lors que les missions des sapeurs-pompiers auront été déterminées. S’il est décidé, demain, qu’ils n’interviendront plus que dans le cas des incendies, cela signifie qu’ils sont bien trop nombreux. Si en revanche, il était établi qu’ils devront continuer à mener les mêmes missions qu’aujourd’hui, donc des missions qui vont bien au-delà des urgences, cela justifie qu’il faudra recruter encore plus de sapeurs-pompiers volontaires et professionnels. Et donc se posera la question des moyens financiers à déployer pour faire face à l’augmentation de ces besoins supplémentaires. Pour y parvenir, les présidents des départements de France ont avancé deux pistes. La première concerne la taxe sur les conventions d’assurance payée par l’assureur et affectée aux collectivités locales ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale. Il se trouve que certains contrats d’assurance incendie ne sont pas concernés par cette taxe, or lorsque les sapeurs-pompiers interviennent, ils sauvent des biens immobiliers et permettent aux assureurs de réaliser des économies. Il ne serait pas illogique que chacun contribue au fonctionnement des SDIS. La deuxième piste que nous avons évoquée, en lien notamment avec les départements les plus touristiques, serait l’attribution d’une partie de la taxe de séjour au financement des services d’incendie et de secours. Ces deux pistes méritent d’être explorées à l’occasion des différentes réunions de travail qui auront lieu tout au long du Beauvau de la sécurité civile.
Concernant les missions des sapeurs-pompiers, comment souhaitez-vous qu’elles soient définies ou limitées ?
Nous devons pour cela réunir l’ensemble des acteurs autour de la table et notamment nos partenaires essentiels que sont les services de santé ainsi que les associations agréées de sécurité civile, capables d’exercer un certain nombre de missions pour lesquelles les sapeurs-pompiers ne sont pas les éléments à mobiliser en priorité. L’assistance à domicile portée à une personne âgée ne nécessite pas forcément l’intervention d’un sapeur-pompier. Cette mission peut être confiée à une association à l’instar de l’ordre de Malte, la Croix-Rouge ou encore le secours catholique. Des répartitions pertinentes sont à envisager.
Partagez-vous l’avis ministère de l’Intérieur, selon lequel le volontariat doit rester au coeur du modèle de nos services d’incendie et de secours ?
Bien entendu. Il n’est pas question de remettre en cause notre organisation qui s’appuie sur la complémentarité des professionnels et des volontaires. Les volontaires seront toujours en plus grand nombre, ce qui permet de bénéficier d’un maillage territorial de qualité, d’être au plus près pour intervenir dans les délais les plus brefs vis-à-vis d’une personne qui a besoin d’être secourue.
La filière est-elle toujours attractive ?
La filière ne perd pas en attractivité. Il y a toujours autant de jeunes gens et de jeunes filles qui admirent les sapeurs-pompiers parce que c’est un métier qui a du sens. Secourir son prochain est très valorisant. L’attractivité du métier n’est pas un sujet mais il y a bien une nécessité de clarification des missions. Les candidats aux concours sont toujours aussi nombreux.
Ne faudrait-il pas renforcer la culture du risque pour impliquer et responsabiliser davantage les citoyens ?
En effet, chacun devrait être acteur de sa propre sécurité. Plus nous serons collectivement et individuellement attentifs, moins les sapeurs-pompiers seront sollicités. Il faudrait sans doute faire passer des messages dès le plus jeune âge, donc l’école a un rôle essentiel à jouer y compris dans l’apprentissage des gestes de protection. Cela suppose néanmoins que cette culture du risque soit entretenue dans la durée et accompagnée de communication mais aussi d’actions de sensibilisation, à l’instar de la politique de lutte contre l’insécurité routière menée depuis de nombreuses menée, qui a permis de faire baisser le nombre de morts sur les routes Françaises. Il faut que de la même façon la culture de la sécurité civile puisse devenir une grande cause nationale dans la durée.