Camille Pouponneau a été élue maire de Pibrac (9 000 habitants-Haute-Garonne) lors des municipales de juin 2020, une fonction qu’elle exercera jusqu’en octobre 2024, date à laquelle elle démissionne. Dans son ouvrage « Maires, le grand gâchis » paru aux éditions Robert Laffont, elle raconte les coulisses de son mandat et lance un cri d’alerte sur les conditions de travail des élus locaux.
Quelles sont les raisons de votre retrait ?
C’est un épuisement physique et mental qui a conduit à ma démission, couplé à un sentiment grandissant d’impuissance tout au long du mandat. Nous avons en France énormément de lois qui nous sont imposées depuis Paris, des normes coûteuses, complexes et contradictoires à appliquer et qui pèsent très lourdement sur le budget des communes. C’est ainsi que les moyens nécessaires à la mise en œuvre de mon projet politique ont manqué. A cela s’ajoute une attente très forte de la part de nos concitoyens. Ces derniers, face à des services publics de moins en moins efficients, se tournent vers leurs élus préférés, les maires, pour obtenir des réponses à toutes leurs sollicitations. Or, le maire ne possède pas de baguette magique. Enfin, la place et le poids de l’intercommunalité face à la commune m’ont donné le sentiment de ne pas pouvoir peser ou orienter les décisions.
Quel est votre ressenti quelques mois après avoir quitté vos fonctions ?
Écrire ce livre m’a permis de comprendre que la situation n’était pas seulement liée à des composantes individuelles. Dans les études dont je me suis nourrie, huit maires sur dix déclarent que leur santé est affectée par leur mandat ; neuf maires sur dix déclarent cacher leurs émotions ; un maire sur deux déclare penser à démissionner. Il est important de distinguer ce qui relève de l’aspect individuel de ce qui relève d’un système parfois défaillant et complexe. Ce livre est un cri d’alerte qui je l’espère permettra de redorer la fonction du maire et lui redonner de la puissance. Je crois profondément que le pouvoir local est la solution à beaucoup de maux de notre société.
Pourquoi votre engagement avait-il perdu son sens ?
Au fur et à mesure que l’on s’engage, on ressent cette envie de changer le quotidien des habitants, d’améliorer la situation de notre commune. Pourtant très vite on se retrouve à gérer le plus souvent des problèmes annexes, comme la propreté, qui vous font perdre le sens de l’engagement qui est avant toute un engagement citoyen. Cette perte de sens se retrouve aussi chez les agents du service public qui ont de plus en plus de mal à retrouver la mission d’intérêt général qui est le sens premier de leur engagement.
Qu’est-ce qui a été pour vous le plus difficile au cours de ce mandat ?
Mon sens des responsabilités très élevé m’impose d’aborder les choses avec beaucoup de sérieux. J’avais pourtant le sentiment de ne pas pouvoir répondre à cette responsabilité qui était la mienne. Il y a par ailleurs dans cette fonction une forme de solitude qui est celle de tout dirigeant. Même si le collectif est présent au sein de la municipalité, à travers l’équipe d’élus, les agents, les experts, les associations, l’intercommunalité, etc. le risque encouru dans chacune des décisions ne pèse que sur votre responsabilité pénale et donc individuelle. Dans toute fonction de dirigeant, vous devez tenir une certaine posture, être celui qui détient toujours les solutions, celui qui va bien, celui qui entraîne le groupe, alors que vous-même êtes confronté comme tout individu à des doutes, à des difficultés, quelquefois des épreuves sur le plan personnel. En somme, cette solitude vient du fait qu’il n’y a pas de place pour les émotions du dirigeant.
Qu’avez-vous appris de cette expérience ?
J’ai appris qu’il fallait être modeste et humble. Qu’il fallait aussi se concentrer sur quelques objectifs seulement et apprendre à lâcher prise sur le reste. Un vrai défi. Consacrer toute son énergie à son travail et son engagement ne sera jamais suffisant. Il faut trouver un équilibre entre l’engagement et le bien-être personnel.
Quel conseil donneriez-vous aux candidats qui souhaitent se présenter aux élections municipales pour la première fois ?
Il faut apprendre à limiter les objectifs à atteindre, s’y tenir et savoir lâcher-prise. Prendre soin de soi est non négociable. L’engagement change complètement notre regard sur le fonctionnement des collectivités, sur le commun et sur la politique, il est primordial de préserver du temps pour se régénérer, de préférence loin de la commune. Enfin, je leur conseillerais de constituer une équipe solide avec des personnes disponibles pour passer du temps en mairie en semaine mais aussi d’autres collègues avec des temps de disponibilité complémentaires en soirée et le week-end.
Et si c’était à refaire ?
Je le referais car cette expérience a changé ma vision sur moi-même et celle que je porte sur le monde. Je suis contente d’avoir pu le vivre. Ce livre est un moyen de continuer à faire de la politique, à alerter et donner des préconisations. Je crois viscéralement que la politique peut changer le monde. En tout état de cause je continuerai à m’engager.
Propos recueillis par Blandine KLAAS
Photo © Frédéric Maligne