Intimement lié à la question des déchets du bâtiment, le réemploi à l’échelle de la ville se pratique déjà, à petite échelle. Pour David Sinnasse, chef de Projet Construction et Aménagement Durables chez Odeys, le réseau de la construction durable en nouvelle Aquitaine, il devient nécessaire de faire évoluer les pratiques. L’économie circulaire doit se pratiquer dans une logique territoriale en travaillant les forces de chaque territoire. Entretien.
Réemploi, réutilisation de matériaux, de quoi parle-t-on exactement ?
Le réemploi et la réutilisation font partie des solutions les plus efficaces et les plus viables permettant aux objets et matériaux de sortir de leur statut de déchet. La réutilisation permet une adaptation du produit pour un usage différent de l’objet. Prenons l’exemple d’une poutre en béton, elle peut être réutilisée pour la réalisation de bordures de chemin. Dans le cas du réemploi, ils seront récupérés puis utilisés pour la même fonction. Ces objets et matériaux qui auparavant étaient considéré comme des déchets deviennent alors des ressources. Le réemploi ans les villes présente au moins trois avantages. Le premier étant une diminution significative du tonnage de déchets sur une seule opération de construction. Moins de déchets et une moindre utilisation de nouveaux produits contribuent à l’amélioration du bilan carbone d’une opération de construction ou de rénovation. En plus d’une mission économique, les chantiers de réemploi ont une mission sociale puisqu’ils permettent la création d’emplois de réinsertion. J’ai la conviction que le réemploi peut se développer dans les villes à la condition bien sûr de trouver un modèle économique permettant de faire baisser le coût global d’une opération. A ce jour, ce n’est pas toujours le cas.
Comment introduire cette nouvelle donne au sein des collectivités alors que la culture du réemploi et de la réutilisation n’a pas été très développée jusqu’ici ?
Il est vrai que les collectivités n’ont pas été incitées à s’approvisionner en privilégiant des logiques de réemploi. Cette culture de l’économie circulaire est en train de s’implanter petit à petit pour de multiples raisons. L’une d’entre elles tient au fait que les collectivités locales, et notamment les agglomérations qui ont la compétence déchets, doivent mettre en place des politiques de réduction des déchets. Cela les oblige à s’intéresser aux déchets de la construction dont le tonnage est très important. Le secteur du bâtiment produit à lui seul, chaque année en France, l’équivalent de 300 tours Montparnasse de déchets. Dès lors que nous trouverons des solutions efficaces pour mieux traiter ces déchets, il sera possible d’en diminuer fortement la quantité sur un territoire. Il existe des animations territoriales sur ce sujet opérées par des organismes comme Odeys, mais aussi des retours d’expérience et des ressources. Mettre en place le réemploi pour leurs propres opérations a un impact direct dans la structuration des territoires.
Quels sont les enjeux du réemploi à l’échelle de la ville ?
L’enjeu est avant tout territorial. Comment les produits démantelés sur une opération peuvent-ils être réutilisés sur la même opération ou dans le cadre d’une autre opération sur le territoire ? Il devient alors nécessaire de travailler avec d’autres acteurs locaux pour trouver une seconde vie à ces matériaux. D’où l’importance de cette notion territoriale pour maximiser le réemploi par opération, par maître d’ouvrage mais aussi par territoire. L’autre enjeu concerne le stockage de ces matériaux récupérés pendant quelques semaines ou quelques mois le temps qu’ils soient réutilisés ou réemployés sur une autre opération. A terme, il deviendra nécessaire de mettre en place des filières de stockage et de préparation de matériaux. Nous le constatons déjà dans certains territoires avec l’émergence de plateformes de réemploi qui de plus en plus se professionnalisent.
Quelles sont les possibilités de réemploi au sein de la ville ?
Les possibilités de réemploi sont nombreuses. Les quantités importantes de béton peuvent être réutilisées dans la fabrication de mobiliers urbains ou de briques pour de nouvelles constructions. Il existe également des opportunités de réemploi du béton dans les infrastructures routières. Les terres excavées peuvent être utilisées dans des solutions locales de terrassement et d’aménagement paysager. Chez Odeys, nous encourageons le développement de la construction en terre à travers la fabrication de briques de terre crue. Plusieurs opérations ont été réalisées sur notre territoire. Aujourd’hui, l’écologie industrielle territoriale (EIT) est une piste à creuser pour favoriser le réemploi des déchets du bâtiment. Elle constitue l’un des sept piliers de l’économie circulaire. Son but : optimiser les ressources d’un territoire, incluant les énergies, l’eau, les matières premières, les déchets ainsi que les équipements et les compétences. Plusieurs collectivités ont mis en place une démarche d’EIT.
Une ville exemplaire en matière de réemploi ?
La ville de Poitiers a mis en place une démarche environnementale forte qui met l’accent sur les matériaux et l’économie circulaire. La réhabilitation du site de la Caserne devait se faire avec un minimum d’impact environnemental et des investissements limités. Le choix a été fait de travailler sur le réemploi des équipements et matériaux en place et sur les mesures à mettre en oeuvre pour limiter les coûts de fonctionnement, une fois les travaux réalisés. Une mission réemploi a vu le jour dans le cadre de ce projet. Pour être accompagnée dans sa démarche, la ville a fait appel au bureau d’études La mécanique des ruines, qui travaille sur le thème du réemploi de matériaux depuis une dizaine d’années. Dans le cadre de l’opération, ils ont analysé tous les produits présents à la fois sur l’opération et sur le territoire afin de maximiser les possibilités de réemploi. Une centaine de produits ont été identifiés comme potentiellement réemployables sur le patrimoine de Grand Poitiers. Par exemple, la structure en bois a été réemployée dans une usine de la région pour la fabrication de caissons destinés à l’isolation en paille hachée. Une technique d’isolation très performante. Autre exemple, les toits de tôle industrielle trouveront une nouvelle utilisation en bardage de façade. Par ailleurs, la collectivité vient d’embaucher un agent en charge du réemploi. Disposer d’une telle compétence en interne traduit la volonté des élus d’introduire une nouvelle manière de travailler.