La dévitalisation croissante des centres-villes et centres-bourgs, marquée par une hausse préoccupante de la vacance commerciale, par la multiplication de commerces de façades ou encore l’essor du commerce en ligne, inquiète les élus. Gil Averous, maire de Châteauroux et président de l’association Villes de France avance des pistes concrètes pour sauver le commerce local.
Villes de France a maintes fois alerté les pouvoirs publics sur les difficultés rencontrées par les commerces de proximité implantés dans les centres-villes. Avez-vous à ce jour obtenu des éléments de réponse ?
Alors que depuis plus d’un an nous alertons le gouvernement sur la nécessité de mettre en place rapidement un plan d’action pour soutenir les commerces de proximité, seules quelques discussions et consultations ont été organisées à ce jour. Notre association a publié plusieurs communiqués de presse, nous avons réalisé une vidéo mobilisant de nombreux maires de villes moyennes qui relaient ce message et alertent sur cette situation préoccupante. Nous avons transmis nos propositions au cabinet de la ministre que nous avons rencontrée pour lui dire que nous devons trouver des solutions immédiates parce que la situation s’est beaucoup dégradée ces derniers mois. Malgré toutes ces initiatives, nous avons le sentiment que rien ne bouge.
Quelle est l’urgence de la situation ?
Le comportement des consommateurs a changé. En raison du désordre mondial, nos concitoyens économisent et consomment moins. A cela s’ajoute la baisse du pouvoir d’achat que nous avons connue ces dernières années avec la hausse du coût de l’énergie notamment. Le développement de la seconde main prend le dessus sur le neuf. Les enseignes de l’habillement et de l’équipement de la personne se sont effondrées en quelques mois. Toutes les grandes franchises qui faisaient la renommée de nos centres-villes ont pour la plupart baissé le rideau depuis un an et demi. Tout cela nous amène à une augmentation de la vacance commerciale qui est aussi une conséquence de la multiplication des achats en ligne, y compris sur des produits que nous n’imaginions pas pouvoir acheter en ligne, comme les chaussures. Les acteurs du commerce en ligne se sont facilement adaptés à la demande des consommateurs et nos commerces de centre-ville ont perdu des parts de marché. Tous les voyants sont au rouge. Les centres commerciaux implantés dans les périphéries de nos villes, que nous pointions du doigt, ne sont pas les seuls responsables.
Vous dénoncez également l’installation dans les villes moyennes de commerces qui blanchissent l’argent provenant de la vente de stupéfiants. Avez-vous une idée de l’ampleur du phénomène ?
Il n’existe pas d’observatoire qui nous permette de disposer de données fiables. Cependant, chaque maire peut constater dans sa ville une multiplication de commerces, généralement de basse qualité, qui déclarent un chiffre d’affaires supérieur à ce qu’ils réalisent. Ce sont la plupart du temps des enseignes de restauration rapide, des laveries, des barbiers ou des salons de coiffure. Leur démultiplication disproportionnée par rapport aux besoins locaux montre à l’évidence que leur activité cache une autre vocation. Principalement blanchir l’argent de la drogue. Nous avons plusieurs fois alerté les pouvoirs publics car les maires sont dépourvus de moyens pour lutter efficacement contre ces installations. Nous voulons pouvoir réguler l’implantation de ces commerces dans nos centres-villes. Si les documents d’urbanisme nous donnent la possibilité de spécifier les catégories d’activités autorisées dans les rues commerçantes, il faudrait aller beaucoup plus loin. Par exemple, soumettre l’installation des commerces à autorisation préalable de la mairie. Ainsi, chaque maire pourrait doser la typologie des activités accueillies dans son centre-ville. Certains le font indirectement à travers des aides à l’installation de commerces. Celles-ci sont attribuées en fonction de la nature du projet et de l’attractivité supplémentaire qu’il est susceptible d’apporter. Généraliser ces demandes d’autorisation préalable permettrait d’éviter une baisse de la qualité des commerces, qui par ricochet entraîne un appauvrissement de l’offre en centre-ville, une baisse de la fréquentation et un départ de la clientèle vers la périphérie ou le commerce en ligne.
Plus généralement quels outils juridiques ou quelles mesures pourraient permettre aux maires de soutenir le commerce de proximité ?
Nous demandons l’ouverture de plusieurs chantiers dont le premier porterait sur une aide à la modernisation des commerces, à l’image de l’ancien FISAC (Fonds d’Intervention pour les Services, l’Artisanat et le Commerce). Du temps de son existence, cette aide permettait d’octroyer des subventions aux commerçants pour la rénovation de leur locaux ou l’achat de nouveaux outils de production. Aujourd’hui, dans une vision de transition écologique, cette aide pourrait leur venir en soutien pour moderniser et améliorer les performances énergétiques de leurs cellules commerciales. Nous plaidons pour que la fiscalité des commerces de centre-ville, établie à une époque où la rentabilité était forte, soit réexaminé dans une perspective de baisse car elle n’est plus du tout corrélée à la réalité. Nous voulons aussi pouvoir aider nos commerçants dont certains supportent des montants de loyers excessifs mettant en péril leur maintien dans le centre-ville. Accorder au maire un droit de regard sur l’augmentation des baux commerciaux permettrait d’assurer une cohérence entre les loyers pratiqués rue par rue. Certaines communes ont créé un observatoire et peuvent ainsi renseigner les porteurs de projet sur le coût supportable des loyers. C’est une pratique qui mérite d’être institutionnalisée.
Il semblerait par ailleurs que la taxe sur les friches commerciales ne soit pas si efficace ?
Les modalités de cette taxe doivent être revues car il est très facile pour un propriétaire de ne pas s’y soumettre. Aujourd’hui, une ville qui instaure la taxe sur les locaux commerciaux vacants ne peut l’appliquer qu’après deux années de vacance. C’est un temps relativement long. Nous demandons la réduction de ce délai à six mois. Quant au système de revalorisation des bases, actuellement de 10% la première année et de 20% la 2e année, il n’est pas suffisamment dissuasif pour inciter les propriétaires à remettre leurs locaux commerciaux vacants en location. Nous estimons que chaque élu doit pouvoir décider du niveau d’augmentation et de la progressivité.
Que pensez-vous de la charte « ville commerçante » lancée début juillet par Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du Commerce, dans le cadre de travaux dédiés à la revitalisation économique et à la lutte contre la vacance commerciale ?
Nous saluons toutes les initiatives permettant de réunir autour de la table à la fois l’État, les commerçants et les collectivités locales et de réfléchir ensemble à des actions communes. Cependant, la charte « ville commerçante » ne propose rien que nous ne fassions déjà au quotidien. L’État doit faire confiance aux élus locaux. C’était d’ailleurs le sens du programme Action cœur de ville (ACV), qui a défini un cadre national et permis qu’il y ait autant de plans Action cœur de ville qu’il y avait de villes engagées dans le dispositif. Avec le maire comme chef de file à l’échelle locale, avec des partenaires dont l’État mais aussi action logement, l’agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, la Banque des territoires, etc… Nous avons besoin d’un véritable plan d’action construit avec les commerçants car la situation économique de nos centres-villes s’est encore aggravée au cours des derniers mois. Nous appelons au lancement d’un acte III du programme Action cœur de ville, un dispositif qui a prouvé son efficacité.
S’il devait être acté, qu’attendez-vous du programme Action cœur de ville de troisième génération ?
Dans ce troisième volet, nous souhaitons que la situation individuelle des commerçants soit systématiquement prise en compte. Depuis un an nous demandons à l’État que dans chaque département, le préfet réunisse les acteurs concernés pour évaluer la situation financière de chaque commerce, écouter leurs difficultés concrètes au quotidien pour mettre en place des plans d’action locaux, commune par commune, en fonction de la situation de chacune.
Nous demandons également une réunion pour faire le point sur les atouts et les inconvénients des deux premiers dispositifs Action cœur de ville et réfléchir ensemble à la configuration d’un troisième volet. A l’occasion de notre congrès début juillet à Libourne, nous attendions du ministre François Rebsamen, présent pour l’occasion, qu’il nous trace la route. L’absence de réponse à ce jour nous inquiète. Si le gouvernement décide de ne pas poursuivre le programme au-delà de 2026, date à laquelle ACV2 arrive à son terme, ce sera gravissime pour les commerçants et pour nos villes moyennes, villes préfecture et sous-préfectures qui ont déjà beaucoup souffert. Cet abandon serait le signe que notre gouvernement ne croit plus dans le commerce de centre-ville. Ce serait un message dramatique adressé à la fois aux élus locaux et aux commerçants.
L’État ne fait pas suffisamment confiance aux maires ?
Le thème de notre congrès de Libourne en juillet 2025 était clair « 2026, le pouvoir de décider ». Nous demandons que l’on fasse confiance au couple maire-préfet et que le maire puisse être le pilote de sa politique locale, conjointement et en coordination avec le représentant de l’État dans le département, donc le préfet. Le dispositif Action cœur de ville est l’exemple même de la réussite de cette manière de faire de la politique localement. Les raisons du succès ? l’État a fait confiance au maire en définissant un cadre national mais en lui laissant décider de son programme d’action sans juger l’opportunité des actions. Par ailleurs, un manager du commerce et un chargé de mission Action cœur de ville local avaient été désignés pour assurer le suivi des actions et évaluer l’efficacité des dispositifs au fil de l’eau. Ils fonctionnent. En témoignent les études publiées par l’association Centre-ville en mouvement qui démontrent chaque année que nos habitants ont entendu parler du programme Action cœur de ville et voient l’image du centre-ville changer.
Quel message souhaitez-vous adresser aux autorités nationales ?
Dès aujourd’hui nous devons nous mettre autour de la table. Chacun doit prendre conscience de son rôle et du fait qu’il peut apporter une partie de la réponse au problème de nos centres-villes et des commerces de proximité. Si nous n’agissons pas rapidement, la situation deviendra irréversible et le taux de vacance repartira à la hausse de manière exponentielle. Il deviendra alors très difficile de reconquérir nos centres-villes. Il y a urgence à ce que tous ensemble nous agissions pour renverser la situation.
La santé du commerce de proximité dans les centres-villes, un sujet prioritaire pour les prochaines municipales ?
Dans une étude d’opinion publiée en mai 2025 par Centre-ville en mouvement, la redynamisation des commerces de proximité en centre-ville est arrivée en tête des sujets prioritaires pour les prochaines élections municipales (28%) devant la sécurité des biens et des personnes (27%), le stationnement (21%) et l’environnement (19%). Les citoyens attendent que les politiques soient attentifs à leur quotidien. Le commerce de centre-ville fait partie de leur quotidien en participant au cadre de vie, à l’image d’une ville, au dynamisme local et à la fierté des habitants. Même si dans leur comportement consumériste, ils fréquentent moins les commerces de proximité.
Propos recueillis par Blandine Klaas